L. Godinho : « Le remboursement différencié est une mauvaise nouvelle pour l’audioprothèse comme pour l’optique. »
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Le président du Syndicat national des audioprothésistes (Unsaf) répond aux questions de L’OL [Mag] sur les modalités de l’anticipation du 100 % santé par Harmonie Mutuelle, en invitant les secteurs de l’audio, de l’optique et du dentaire à échanger ensemble sur la problématique des réseaux de soins.
Le 31 mai, Kalivia a envoyé un e-mail à ses audioprothésistes partenaires pour leur confirmer que l’anticipation du 100 % santé par Harmonie Mutuelle ne s’appuiera pas sur l’offre Prim’audio mais sur l’offre spécifique HM Audio, réservée aux assurés individuels d’Harmonie Mutuelle, qui sera disponible uniquement au sein du réseau et fera l’objet d’un remboursement de 950 € pour les classes I et II. Quel regard portez-vous sur cette décision ?
Quand Harmonie Mutuelle a annoncé son intention de proposer un reste à charge nul dès juillet prochain, l’Unsaf a tout de suite averti que les audioprothésistes ne serviraient pas de variable d’ajustement. Quelques jours après, Kalivia, la plateforme qu’utilise notamment Harmonie, déclarait que le prix plafond de son offre Prim’Audio serait désormais de 800 €, soit le même tarif que les aides auditives du panier CMU-C, ce qui revenait à renégocier à la baisse le panier 100 % santé ! Nous avons donc questionné la Commission d’examen des pratiques commerciales sur ces éléments car nous estimons que le contrat de conventionnement Kalivia est fortement déséquilibré au préjudice des professionnels. Les avertissements et actions entrepris par l’Unsaf ont permis à la profession d’obtenir des avancées mais, en analysant les détails de l’accord, nous constatons que ces avancées s’appuient sur la création de remboursements différenciés, l’offre HM Audio semblant être réservée au réseau Kalivia. Pourtant, un des facteurs clés de la satisfaction des malentendants en France est le libre choix du professionnel et de l’équipement. La mise en place de cette offre est donc un vrai coup de canif dans cette liberté de choix, qui serait évidemment perdue si Harmonie fixait des tarifs de remboursement plus bas hors réseau. Cela a également des conséquences pour le secteur de l’optique : en audio, la classe I et la classe II font l’objet d’un remboursement identique de la part de la Sécu, mais ce ne sera pas le cas pour les lunettes. Les équipements qui sont hors du panier 100 % santé en optique vont faire l’objet d’une prise en charge symbolique, presque nulle. Le remboursement différencié en optique permet d’inciter les patients à se tourner préférentiellement vers l’offre 100 % santé totalement remboursée, et à ignorer l’offre libre qui serait de moins en moins remboursée. Alors que les professionnels de l’optique commencent à négocier les contrats de conventionnements pour 2020, les modalités de l’offre HM Audio sont un précédent fâcheux. Le remboursement différencié est une mauvaise nouvelle pour l’audioprothèse, mais encore plus pour l’optique.
L’accord a été signé par Kalixia, le Synea (Syndicat des entreprises de l’audition) et le Synam (Syndicat national de l’audition mutualiste). Pourquoi l’Unsaf n’a-t-il pas été associé à cette négociation, alors que jusqu’ici les organisations professionnelles ont toujours joué l’unité sur ce type de dossiers ?
Nous avons été surpris par l’annonce de cet accord. En 2018, notre union forte a permis de remporter des combats que d’aucuns jugeaient ingagnables, notamment celui d’un accord 100 % santé convenable après des propositions initiales très insuffisantes. Dès début 2019, nous avons proposé aux dirigeants du Synea de poursuivre un partenariat dans le cadre des discussions que nous allions avoir les Ocam, notamment à propos des remboursements des aides auditives de l’offre libre. Le Synea était d’accord. Cet accord a été validé explicitement quand fin mars, l’Unsaf a été contacté par Harmonie Mutuelle, qui nous invitait à rencontrer son président, et que j’en ai informé mon homologue du Synea, qui a accepté l’invitation. Nous avons donc été reçus tous deux, le 17 avril, par Stéphane Junique, président d’Harmonie Mutuelle, à son siège. C’était une rencontre constructive, car Harmonie Mutuelle avait besoin d’un accord avec les audioprothésistes pour pouvoir concrétiser sa promesse largement médiatisée. Cette rencontre montrait également que notre souhait de négocier directement avec les Ocam sans l’intermédiaire des réseaux était réalisable. Nos demandes ont été exprimées ensemble par l’Unsaf et le Synea : suppression de l’obligation de l’offre Prim’audio et, plus généralement refus de toute sur-négociation sur le panier 100 % santé, et demande que les remboursements soient égaux entre la classe I et la classe II, et cela chez tous les professionnels, en raison du caractère opérateur-dépendant de notre métier. Vous comprendrez notre surprise et notre déception lorsque nous avons appris récemment que nos collègues, plutôt que de poursuivre avec nous les échanges directs avec Harmonie, avaient accepté des échanges avec la plateforme Kalivia sans nous en informer. Notre union n’a pas fonctionné comme elle le devrait. Quelles que soient les motivations individuelles qui ont conduit à cet accord, elles nuisent à l’ensemble de la profession. A court terme, nous appelons à un large dialogue avec les membres du Synea dont je ne peux pas croire que la majorité de ses membres se satisfasse de cette mise en avant du remboursement différencié.
Quelle est la solution qu’aurait souhaité l’Unsaf ?
La mise en place du Rac 0 en juillet pour les assurés individuels d’Harmonie, c’est 6 mois d’avance pour l’optique et le dentaire, mais 18 mois pour l’audioprothèse, et cela à cause des différences de restes à charges moyens : 25 % en optique et dentaire contre 60 % en audio. Le « coup de com’ » d’Harmonie, qui ne concerne que 2 millions de personnes, a, du fait de sa médiatisation, provoqué des incompréhensions sur les calendriers d’une réforme déjà compliquée à expliquer au grand public. Ces annonces ont renforcé l’attentisme des patients, qui était un risque lié à la longue transition sur 2 ans. Nous aurions avant tout souhaité discuter en amont avec Harmonie ce qui nous aurait permis de trouver un accord plus satisfaisant en termes d’accès et de qualité des prestations. C’est une occasion manquée mais nous restons mobilisés contre les remboursements différenciés et les réseaux de soins tels qu’ils existent aujourd’hui. Ce sujet ouvre d’ailleurs le débat sur la problématique plus large de leur rôle dans le contexte de la mise en place du 100 % santé.
Qu’entendez-vous par là ?
Notons d’abord qu’Harmonie Mutuelle fait partie de la Mutualité française, qui porte des messages de solidarité des « vraies mutuelles ». Harmonie Mutuelle ne semble pas suivre la voie des principes mutualistes mais opter pour une approche concurrentielle qui les dénature et veut réduire l’audioprothèse à un bien de consommation qu’il faudrait acquérir au prix le plus bas, au détriment des forts enjeux de santé publique de la compensation du déficit auditif. Les réseaux et leurs remboursements différenciés ont été autorisés par la loi Le Roux de 2014. Rapidement, les professionnels se sont opposés au déséquilibre entre les obligations importantes imposées aux professionnels et celles quasi nulles pour l’oligopole des 5 plateformes. De plus, des interrogations sur la qualité des soins proposés au sein de ces dispositifs sont apparues car, sans qualité, le patient ne gagne rien, comme l’a montré le rapport Igas qui soulignait que certaines plateformes avaient intégré dans leur réseau dentaire les centres Dentexia, dont les pratiques ont provoqué un scandale et une faillite retentissantes. Les réseaux ont-ils permis d’améliorer l’accès aux soins des plus modestes ? Non, puisque l’une des promesses emblématiques de la campagne de Emmanuel Macron était de créer un Rac 0 sur les trois secteurs où ils étaient les plus actifs. Avec le 100 % santé, dans quelques mois tous les bénéficiaires potentiels des réseaux vont pouvoir bénéficier partout de restes à charge nuls en optique, audio et dentaire. Avec la fin des Rac subis, la problématique des réseaux va donc se poser dans des termes nouveaux. Le rôle des réseaux devra être questionné en profondeur. Cela doit mobiliser les trois filières. J’appelle en ce sens à des échanges avec le secteur de l’optique et celui du dentaire.